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Achilleas & Maria
13 septembre 2010

Athènes (suite)

"La guerre de Troie se passe de nos jours entre Omonia et Kypséli.

Athènes, la ville aux mille visages, ville de millionnaires et de miséreux, aux façades de verre flanquées de baraques sommaires. Aucune cartographie ne peut en suivre l’évolution. Elle s’étend dans le bassin attique comme de l’encre sur un papier buvard. Une ville en construction permanente à l’ombre des grues, où les marteaux-piqueurs, les bétonnières, les compresseurs rivalisent en une tonitruante disco. Une ville qui creuse sans cesse les profondeurs de son sol, tantôt pour le gaz naturel, l’électricité, le téléphone, l’eau, les égouts et bien sûr le métro, qui promet par le chaos souterrain d’amener l’ordre dans le chaos sur terre. Mais aussi par la pioche de l’archéologue prête à rivaliser avec toutes les autres, puisqu’il y a toujours quelque Kouros ou Korè qui surgissent splendidement abîmés, quelque amphore, stèle ou épigraphie, membres ou fragments d’une époque lointaine, gloire mais aussi lourd fardeau pour une nation qui court continuellement pour combler la faille des siècles de vie libre dont jouit l’Occident.

La vie dans la ville coule comme une publicité. Omniprésents les panneaux géants, les enseignes électroniques, les affiches gigantesques, les murs, les frontons, les terrasses, à vendre des vêtements, sous-vêtements, télés, revues, mode, studio d’amaigrissement, nourriture, gâteaux, supermarché, détergents, modèles nus. L’œil y achoppe tellement souvent qu’on oublie de regarder la façade des édifices, même le visage des gens. Et de partout foncent des voitures de toute sorte et de toute cylindrée, petites, moyennes, éblouissantes, mais aussi aux pare-chocs cabossés, à la tôle enfoncée, aux ailes envolées, aux pneus à plat, marquées d’une bonne trentaine d’années et qui roulent aussi aisément que les limousines, les décapotables, et à côté les camionnettes, les camions, les frigorifiques, les conteneurs. Et tout ça défile perpétuellement dans les rues et les avenues, les rues piétonnières, les rues à circulation limitée, sur les ponts, des passages aériens, dans une lutte inégale avec les piétons qui ne savent pas d’où vont surgir les chars coupe-jarrets. Stationnées dans tous les azimuts, légalement ou non, dans des parkings, des garages, sur des coins de rue quitte à cacher la vue des autres automobilistes, sur les trottoirs – quand ils existent –, dans des enclos, voire même en optant pour la solution la plus futée : au milieu de la rue. Entretemps les gens circulent dans une course à obstacles comme les athlètes de piste, fripés comme des billets de banque, dans des bus qui rarement arrivent à l’heure, le visage écrasé contre la vitre, les plus vieux portant des costumes gris passés de mode et les plus jeunes des tee-shirts et des blousons américains dont les inscriptions en langues étrangères ne signifient rien du tout en aucune langue. Ils courent s’engouffrer dans des bureaux de verre comme des poissons rouges, où l’œil rivé à l’ordinateur ils sollicitent un accès au réseau mondial avant de retourner chez eux crevés d’avoir surfé, pour se coller à la télé, où vacillent les fantômes de la vie publique.

Immortelle Athènes. Combien tu me manques quand je suis loin de toi. Combien je m’ennuie en pays étrangers, Allemagne, Belgique, Hollande, où tout est parfait, jusqu’aux ordures qui sentent l’eau de Cologne. Athènes, une ville où, si tu trébuches en chemin, toujours quelqu’un va se trouver pour te relever, si tu as faim, quelqu’un va te donner une bouchée de pain, si tu pleures, quelqu’un va te consoler, et si tu ris, quelqu’un va comprendre ta plaisanterie. La solitude ici comble itinérants, chômeurs, malheureux, esseulés, de sorte qu’on ne se sent jamais seul. Même si des quartiers ont, disons, disparu et qu’on verse des larmes de crocodile pour des soi-disant paradis perdus, qui en réalité n’étaient que des baraques ennuagées de poussière l’été et battues par les vents l’hiver. Aucun Européen ne peut comprendre comment dans une telle confusion et un tel désordre fonctionne encore un mode de vie loin du rythme inhumain de leurs villes, comment règne une humanité qu’on ne peut trouver dans leurs contrées, une joie que n’a pas encore étouffée la course à l’argent, une manière bien à nous, avec des moyens très simples, d’atténuer la terreur et la menace qui sévissent dans les grandes villes.

Et si parfois notre collier de ciment et les embouteillages nous exaspèrent, nous n’avons qu’à faire une promenade sur l’Hymette ou le Pantélique, à aller à Philopappos, à trouver de petites rues à Kaissariani, des ruelles de Psyrri, à Pétralona, nous asseoir à l’une des multiples cafétérias, des bars de la place Bournaziou, au parc d’attractions de Galatsi, un tour à Gazi, au parc de Tavros, trouver l’un de tous ces cinémas d’été qui sont notre marque déposée, nous trouver rue Phokionos Negri piétonnière, Ilioupoli, Argyroupoli, Phaliro, Kalamaki, nous rendre jusqu’à Aigaleo City, ou ailleurs, et encore ailleurs…

J’en ai le vertige à penser combien de choses on peut faire à Athènes. Et si tu n’as pas le temps d’aller aux nombreux théâtres – aucune autre capitale n’en a autant –, aux cinémas, aux concerts, aux manifestations qui ont lieu chaque jour, sache qu’à côté, tout près, il y a toujours un bar tapi dans une ruelle, une crêperie dans une vieille maison à Exarchia, un café oublié à Kypséli, une minuscule sandwicherie place Victoria ; tu vas toujours trouver où te nicher.

Curieuse mosaïque que cette ville. De la fière solitude des colonnes du Zeus olympien jusqu’à la joyeuse foule des chineurs qui recherchent de vieux objets à Monastiraki. Des librairies de la rue Solonos et de la Stoa du Livre, rue Panepistemiou, près de l’université à l’Arsakio. Des étals de brochettes aux cinémas pornos populaires, des quartiers où l’on étend toujours la lessive sur des cordes à linge aux panoplies de verre des édifices de Kifissia. Partout et toujours, quelle que soit l’heure où tu sors, Athènes a quelque chose pour toi. De la solitude et l’isolement extrêmes à la fête foraine la plus folle.

Dans cette ville où j’ai été moi aussi enfant, grandissent à présent d’autres enfants avec la curiosité et l’envie de la connaître, de la conquérir, de devenir des Athéniens à leur tour.

Un titre non négociable qui fait fi des barons, princes, sirs et particules, de tous les registres de la vanité humaine. Je les vois chaque jour dans la rue palpiter d’énergie, de beauté et d’assurance. Comme je ne suis plus très jeune, ils me dépassent indifférents, exactement comme à leur tour un jour vont d’une poussée les écarter d’autres jeunes Athéniens.

La vie ici ne s’arrête jamais!" 

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