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Achilleas & Maria
13 septembre 2010

Athènes

Voici un très beau texte d'un écrivain grec, Ménis Koumandareas, qui vous présentera Athènes comme ne peut le faire aucun guide touristique. Athènes, c'est vraiment ce qui est décrit dans ce long texte que je publierai en deux fois pour ne pas vous lasser.

" Dans cette capitale enivrée par ses excès, les habitants, princes et gueux, nés ici ou venus d’ailleurs, ont le sang qui bout vingt-quatre heures sur vingt-quatre...

Jamais je ne me sens plus près d’Athènes que lorsque j’en suis éloigné. Pour moi, qui suis né dans cette ville, tout éloignement est un exil. Ville amputée des antiquités, ville palpitante de vie à toute heure du jour et de la nuit, princesse et gonzesse, pauvresse et dame patronnesse.

Ville de contradictions aux durs édifices de verre à l’instar de Los Angeles, mais aussi aux baraques empruntées au néoréalisme italien. Ville de richesse, mais aussi de pauvreté. Aucune autre capitale n’a subi autant de métamorphoses.

Cité dorée de Périclès et d’Eschyle, province de l’Empire romain, village sous la domination ottomane. Aucune n’a autant changé, aucune n’est restée autant la même dans l’âme. Je ne me lasse jamais de la parcourir de son centre historique jusqu’à ses quartiers périphériques. De Plaka, qui d’enfer nocturne et des stupéfiants est devenue tout autre, un décor scénique aseptisé, de la Victoria de la classe bourgeoise où j’ai grandi à la Victoria des fast-foods et des immigrants.

Des quartiers comme le Psyrri, qui de miséreux sont devenus des rois de la nuit, Kypséli, Pangrati, qui malgré les changements gardent leur cachet.

Nouveaux quartiers comme Ilion, traditionnels comme Péristéri. Une ville aux mille visages. Bien conservée l’avenue Vassilissis Sofias avec ses musées, ses pinacothèques, ses Hiltons et ses auditoriums. Fluctuante dans ses métamorphoses, tantôt avec ses fleuristes et ses trams, tantôt avec le jet d’eau de Caramanlis et le passage souterrain et plus tard avec le coureur de Varotsos, la place Omonia attend toujours son aspect définitif.

De même la place de la Constitution dont, comme s’il s’agissait d’une tarte, on retranche tantôt un morceau de trottoir tantôt une allée. Des rues à double sens qui deviennent sens uniques, des rues piétonnières sans trottoirs du tout. Sans fard, l’avenue Athinon qui mène à Scaramanga et à Eleusis avec sa suite interminable d’ateliers de réparation de voitures, ses façades crasseuses, ses tuiles fripées, ses constructions provisoires et ses enseignes farcies de fautes, avec le nom d’un certain entrepreneur "GATSOS" dressé sur une terrasse qui domine bien en vue, un honneur auquel n’a jamais eu droit le poète d’Amorgos, Nikos Gatsos.

Route sœur la rue Kiphissou, qui longe le fleuve, flanquée de ses inévitables ateliers, usines, bâtisses misérables et dépotoirs, et d’où partent les autocars de ligne. Je n’ai qu’à m’absenter un moment à l’étranger pour sentir combien ce formidable kitsch nous appartient en propre et combien il nous représente. Pour moi qui n’ai pas grandi à Londres ou à Paris, la Pnyx et les tapis de chiffons, l’Acropole et les constructions illégales font bon ménage. Je cours m’y blottir comme dans le sein maternel.

Mais l’Athènes que j’aime pour ma part ne se trouve pas à l’Acropole, au Zappio, à Plaka ou à Kolonaki. Même si j’ai connu l’université des années cinquante – le café "Byzantio" –, même si j’ai vu Tsarouchis psalmodier au Métoque du Saint Sépulcre, même si j’ai entendu Kakia Mendri chanter à l’"Aigli" du Zappio, personnellement l’Athènes où je me sens chez moi, c’est celle de l’Athénien moyen. Rue Patission, rue Aristotélous, rue Acharnon, les quartiers autour du Champ-de-Mars, Kypséli. C’est dans ces environs surtout que j’ai déambulé. A Omonia j’ai connu des gens de toutes les régions de la Grèce. Cette place fait vraiment connaître le pays tout entier. Même la figure du drogué devant l’"Everest", aussi blessante qu’elle soit pour moi, est une image de fin de siècle. J’aime encore flâner dans Pangrati, rue Hymittou, où s’étalent souvlakis, bars, brasseries et toutes sortes de magasins, à Vyrona avec ses rochers, à Néa Smyrni avec ses glaces, à Aigaléo avec sa marmaille la plus authentiquement populaire, à Péristéri aux garnements les plus turbulents.

Ils sont infinis les quartiers d’Athènes. Exarchia, où la jeunesse estudiantine se mêle aux anarchistes qui butent contre le sac à main d’une ménagère. Ambélokipi, Agii Anargyri, Ménidi. Comme un fleuve qui coule en charriant pierres et pépites d’or, ainsi en est-il de la population d’Athènes.

Vénérables dames de Kolonaki, vêtues de vêtements importés, le visage comme un coing desséché, fantômes de la belle époque, accompagnées de leurs Philippines, noiraudes, courtaudes et maussades, quand elles ne sortent pas leur chien en promenade, elles font un tour de poussive Mercedes. Des nouveaux riches, hommes et femmes, qui dédaignent Kolonaki et habitent les Kiphissia et Ekali, ont des land rovers, d’abominables dobermans à la maison et des valeurs à la Bourse. Des agents immobiliers qui, des faire-part collés dans leurs vitrines, trament par-derrière leurs toiles. Des patrons de stations-service qui, la nuit, en compagnie d’un molosse, attendent clients et brigands. Des ménagères avec leurs sacs des supermarchés, qui croulent sous le poids des promotions. Des corbeaux en rang aux cimetières qui jouent au jacquet ou aux dés et se racontent des histoires en attendant l’heure du cadavre. Des paraplégiques en chaises roulantes dans la rue piétonnière Agias Zonis, des lecteurs maniaques et des lecteurs resquilleurs qui font le pied de grue devant les journaux affichés aux kiosques. Des tenanciers de kiosques énigmatiques derrière des croissants emballés, des cigarettes, des revues et des préservatifs. Des jeunes qui envahissent les salles de jeux vidéo et vivent dans un monde virtuel.

Des habitués des terrains de foot qui se tuent par amour de leur équipe et qui veulent tout casser chaque fois qu’elle perd ou qu’elle gagne. Des manifestants de toute sorte et de tout âge dont les objectifs préférés sont l’ambassade des Etats-Unis, le ministère de l’Education, le Parlement et bien sûr l’école polytechnique, point de référence de tout anarchiste qui se respecte, alors que les propriétaires de magasins du quartier payent invariablement les pots cassés. Des yuppies pressés par le temps munis de Samsonite, d’organizers, de blazers – ils méprisent tout ce qui est grec –, toujours à téléphoner, à donner des Des jeunes aux cheveux longs, aux cheveux courts, au crâne rasé, freaks aux cheveux hérissés avec de la gelée, qui lisent Stephen King, d’autres blonds par caprice et d’autres noirs par tempérament. Des gars du quartier, du centre, qui se baladent en moto, en vespa, que les premiers soins conduisent au Centre de rétablissement des blessés et les derniers soins aux cimetières. Des syndicalistes de tout poil, des acteurs que ne jouent jamais, des employés civils qui ne mettent jamais les pieds au bureau, des supporters du parti présents à toutes les assemblées. Des gars de la campagne aux champs abandonnés, qui deviennent équilibristes de plateaux dans des cafétérias, disque-jockeys dans des cafés musicaux ou qui, sur un rythme rap, mélangent derrière un comptoir whisky, vodka et Coca-Cola.

D’autres encore préfèrent sniffer de la coke et de la poudre blanche qui les conduit droit à l’hôpital psychiatrique ou à la morgue. Des élèves de lycées qui font la grève, des étudiants qui assistent aux cours affalés dans des cafétérias, des diplômés qui fondent leurs espoirs sur les petites annonces.

Des entrepreneurs "muets" qui édifient de vaines tours de verre dans les banlieues Nord et se déplacent toujours avec leurs gardes du corps. Des éditeurs et des propriétaires de chaînes de télé qui donnent l’impression de ne sortir de chez eux que pour paraître à l’écran, sans cesse en train de tramer intérêts et intrigues. Des éboueurs en uniformes orange qui, lorsqu’ils ne font pas grève, exécutent des tours d’acrobatie sur les bennes à ordures. Des chauffeurs d’ambulances experts en rallye et en slalom qui souvent tombent malades avant leurs patients. Des vendeurs du marché qui montent leurs étals avant l’aube, chargés de légumes et de sous-vêtements et même de fleurs et de CD. Des boutiquiers qui ouvrent et ferment leur établissement en prétextant une "liquidation, permis judiciaire numéro tant" et ne cessent de prétendre qu’ils "ferment définitivement". Tous, absolument tous dans cette ville, ont un portable, même ceux qui avec force et hostilité s’y étaient opposés – ils passent leur temps à papoter, par abonnement ou par carte à puces, avec un appareil vétuste ou le dernier cri de la technologie, et ils s’envoient mutuellement des messages écrits. Désormais personne ne peut se cacher et tous savent à chaque instant où l’autre se trouve.

Outre les autochtones, ces dernières années Athènes s’est remplie d’étrangers. Non pas des touristes, qui n’intéressent que les hôteliers et les bureaux de change. Des immigrants, un mot magique, aussi vieux que notre langue, mais nouveau d’après les événements dans le monde. Sauf une minorité de Grecs qui les considèrent responsables de tous les maux, les autres s’en accommodent, étant donné que ces étrangers se chargent de travaux que personne ne veut plus effectuer. Grâce à ces étrangers, notre Athènes est subitement devenue une métropole qui leur apprend la langue, nos coutumes, de sorte que leurs enfants bientôt seront aussi grecs que nous.

Une occasion de faire du grec une langue internationale, une chose que les esprits bornés ne peuvent pas comprendre (mais l’Etat lui non plus n’a aucune politique établie : au lieu de les renvoyer à tout bout de champ dans leurs pays…). En plus des gens de couleur, qui en silence, sourire aux lèvres, passent comme des pères Noël noirs avec leurs sacs chargés de CD, de cassettes et de jouets, il circule de mystérieux Asiatiques, Pakistanais, Iraquiens, de malheureux Kurdes. Tous les autres, la plupart, proviennent des Balkans et des pays de l’Est, des anciennes républiques socialistes.

Impeccables les Polonais, blonds, catholiques, avec le pape comme scapulaire pour les protéger, bons pères de familles et travailleurs. Des Albanais, indécis entre le règlement de comptes familier et l’accumulation des vignettes de cotisation pour obtenir la carte verte. Leurs garçons rappellent souvent en virilité les Grecs des années cinquante. Des accordéonistes roumains qui rendent jaloux les musiciens professionnels, mais aussi des Roumains munis d’un brevet international qui les a consacrés meilleurs voleurs de l’Europe. Des petits Russes filmés par Yannaris, qui excellent en athlétisme au point que les nationalistes les ont à l’œil. Des femmes russes diplômées en musicologie qui au lieu de jouer du Bach font des lessives, des ménages et la cuisine. De grosses Bulgares accompagnatrices dévouées d’Athéniennes douairières. Des Yougoslaves de deux mètres émules de Rambo. Des serveuses tchèques qui resplendissent de beauté dans les cafétérias de la rue Phokionos Négri. Des Irina et des Sofia de Moldavie et d’Ukraine qui surnommées Vanessa et Natacha offrent de tendres massages par le biais des petites annonces. Elles-mêmes de leurs employeurs ne reçoivent aucune tendresse. Mais aussi des Grecs en vadrouille : des Antonis, des Yorgis et des Costas qui, le portable à la ceinture, font la tournée des gays en se prenant pour des Achilles, Héraclès ou Hectors."

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